25 novembre 2025
« Infrastructures : le vrai nerf de la guerre économique »
Par Vincent Levita, président-fondateur d’InfraVia Capital Partners
Paru dans le Cercle des Echos le 24/11/2025
L’Europe parle beaucoup de souveraineté, mais rarement de ce qui la rend possible. La souveraineté ne se décrète pas : elle se construit dans la durée, par des choix industriels clairs, des infrastructures solides, et des capitaux patients.
Les infrastructures sont devenues le socle de cette reconquête. Elles sont notre assurance-vie stratégique. Une autoroute, un réseau électrique ou un data center ne se délocalisent pas. Elles garantissent l’efficacité, la continuité et la résilience de la nation. C’est par elles que la souveraineté devient tangible.
Pendant des décennies, l’Europe a vu les infrastructures comme un indicateur de développement et de modernité. Aujourd’hui, leur rôle a changé de nature : elles sont devenues la condition même de notre indépendance. Dans un monde fragmenté, la capacité à produire, transporter, connecter et alimenter sur son propre sol est un acte politique autant qu’économique. Tout pays qui renonce à ses infrastructures stratégiques renonce à une part de sa liberté.
Ce constat impose d’identifier les fondations concrètes de notre souveraineté économique.
La première est financière. Sans capital européen, nos entreprises et nos États restent dépendants des flux étrangers, avec le risque de voir nos décisions stratégiques influencées de l’extérieur. A ce titre, l’Union des marchés de capitaux, en discussion depuis trop longtemps, doit désormais aboutir pour donner corps à l’autonomie financière européenne.
La seconde est énergétique. Sans énergie, il n’y a pas d’attractivité et de compétitivité industrielle. Or, nous dépendons encore d’énergies carbonées importées du Moyen-Orient et des US, tandis que nos capacités de production décarbonée restent limitées et relativement coûteuses. Autrement dit, nous ne sommes pas en mesure de réunir sécurité, compétitivité, et la cohérence environnementale. Cette situation résulte d’un manque de vision de long terme : l’Europe a avancé sur la décarbonation sans assurer son équilibre industriel et économique.
Pour sortir de cette impasse, il faut une stratégie énergétique pragmatique et claire, pensée sur vingt ou trente ans. Nous avons les atouts, l’énergie nucléaire, les renouvelables, le réseau, le stockage. Notre rôle, en tant qu’investisseurs, est d’accompagner cette transition, pour que la France et l’Europe disposent demain d’une énergie à la fois sûre, abordable et décarbonée.
La troisième est numérique. L’Europe dépend encore massivement des géants américains pour stocker, traiter et sécuriser ses données. Les data centers, la fibre, les infrastructures cloud souveraines doivent devenir les nouvelles « centrales » du XXIe siècle.
Enfin, les métaux sont la clé silencieuse de toutes les transitions : énergétique, numérique, industrielle. Sans lithium, sans cuivre, sans nickel, pas de batteries, pas d’éoliennes, pas de réseaux. Ce qui exige de sécuriser les chaînes d’approvisionnement et de construire une véritable filière européenne indépendante.
La souveraineté n’est pas un slogan politique. C’est un projet économique, technologique et industriel, dont la clé est l’investissement de long terme. Les États planifient, les investisseurs concrétisent. Nous avons la capacité d’activer tous les leviers de la compétitivité européenne : capital, infrastructures, compétences, innovation.
Soit l’Europe investit aujourd’hui dans sa souveraineté, soit elle subira demain les choix des autres. Il n’y a pas de troisième voie.



